Le SHIN et l’interne : avenir de l’aïkido et … aïkido de l’avenir.

Excusez moi d’abord pour ce titre un peu prétentieux voire racoleur mais je trouvais la formule très belle.

Le texte qui suit est une réflexion toute personnelle sur la place de l’interne et l’évolution future de l’aïkido en France. J’y ajoute le SHIN spécificité unique de l’aïkido.

L’aïkido de l’avenir quand on regarde l’évolution récente de l’aïkido en France. Beaucoup de personnes s’orientent dans l’interne.

Luc MATHEVET notre DTR n’arrête pas d’évoquer les oppositions et 6 directions, Philippe GOUTTARD via l’ostéo est de plus en plus fin, et quand on connaît un peu, le dernier stage de Christian TISSIER à Fareins en 2016 est révélateur de cette évolution. Et je ne parle même pas de l’expertise de  Philippe GRANGE bien sûr, pionnier et leader en France, sans oublier Alan et Cyril à Grenoble, et de plein d’autres que je ne peux malheureusement tous citer…

On retrouve cette orientation également dans la jeune génération de futurs maîtres issue de l’autre fédé (FFAB) avec Léo TAMAKI  (rédacteur en chef de AIKIDO – Dragon magazine) et de ses amis qui le suivent. Il a crée le groupe Kishinkaï.

 L’avenir de l’aïkido car toute l’orientation technique actuelle basé sur la densité, l’ancrage au sol, descendre bas sur les appuis, le travail en puissance est arrivé à une impasse technique, difficile de faire mieux et surtout on peut en voir les conséquences physiques au bout de plus de 30 ans sur beaucoup de nos gradés (dont je fais malheureusement partie) arrivés à 50-60 ans les articulations bien abîmées…

Alors l’ironie est que cet avenir retrouve un certain passé car cet aïkido là tend vers  l’Aïkido originel qu’a fondé O Senseï Moriheï UESHIBA.

D’ailleurs le nom même AI-KI-DO ne parle que de cela en un raccourci que vous me pardonnerez : AI <=>harmonie +connexion et KI <=>énergie =interne

Quand on regarde l’Histoire de l’aïkido, on s’aperçoit qu’O senseï  ne travaillait que l’interne mais ne l’expliquait qu’à travers « les kamis » et un certain ésotérisme incompris. Maître TOHEI à sa mort avait pris la direction technique de l’Aïkikaï avec cette même orientation interne mais a dû démissionner devant le choix du fils UESHIBA (doshu Kishomaru) d’une diffusion mondiale d’un aïkido de masse en supprimant tout ce travail interne au profit d’un aspect plus gestuel et physique occidental, éminemment plus accessible.

Modérons nos propos. Il n’y a pas une seule vérité. Même le seul aïkido authentique et premier qui était celui d’O Senseï a beaucoup changé suivant les diverses périodes de sa vie. C’était un chercheur et du Daito ryu à la fin des années 60 on peut en mesurer la progression. Cela correspond à son évolution personnelle et on peut supposer qu’ici et maintenant  il était dans la sincérité et le vrai à chaque étape, un peu comme lorsque on dit que « chaque âge à son plaisir ». Peut-on dire qu’un semi-marathon est supérieur à une promenade tranquille au bord d’un lac ? Je ne le pense pas.

Et peut être que si O Senseï avait vécu 10 ans de plus il aurait encore évolué et nous aurait légué un aïkido complètement différent, peut être plus spirituel ? Dieu seul le sait.

Enfin si on regarde les élèves d’O Senseï et les différents courants d’aïkido qui en découlent, qui peut déclarer détenir La seule vérité. Personne ! Autant d’aïkidos distincts que de personnes différentes suivant des critères humains variés (morphologies, caractère, histoire…).

C’est à la fois une chance autant qu’une richesse mais aussi une certaine source d’incertitude : qui suivre comme modèle ? Je vois 2 éléments de réponse.

1- ne pas oublier que le DO de la voie est d’abord un chemin personnel et propre à chaque individu. Nous sommes suivant les hasards et les rencontres de la vie soumis à différentes influences qui impactent notre parcours d’aïkidoka.

2- Il ne faut pas aussi limiter l’aïkido à un simple aspect physique ou technique et oublier le 3ème aspect fondamental voire essentiel : les qualités humaines. Choisir un professeur en conséquence. En effet, l’étude complète de l’aïkido comprend 3 grands pans indissociables qu’une vie entière ne suffirait pas à explorer pleinement : GI (principes techniques) + TAI (qualités physiques) mais aussi et avant tout SHIN.

Le SHIN relève des valeurs mentales et relationnelles : contrôle, respect, écoute, humilité, disponibilité, intégrité, persévérance, mais aussi Shoshin (esprit du débutant), Kokoro (le cœur, générosité), le Zanshin (vigilance), Shiseï (attitude mentale) et de plein d’autres qualités et aptitudes à développer…

Le message profondément humain, pacifique et universel que véhicule l’AIKIDO qu’a voulu son créateur O Senseï Ueshiba est la spécificité unique de l’Aïkido sur tous les autres sports martiaux. Je pense sincèrement que c’est un trésor qu’on se doit de partager, encore plus dans ce monde moderne et, d’après moi, est la 1ère clé d’un développement et avenir de l’aïkido.

Et je voudrais ici remercier mon 1er professeur Mr Bernard MONNERET qui m’a énormément appris en ce domaine. Ma devise « travailler sérieusement sans se prendre au sérieux » en plus d’une bonne partie de ma pédagogie vient de lui.

En gardant toujours à l’esprit le SHIN-GI-TAI, je pense qu’il faut prendre conscience qu’un aïki construit uniquement sur des qualités physiques (TAI) n’est voué qu’à une dégradation progressive due à l’âge (à partir de 35-40 ans) si ce n’est aux blessures du corps qui n’oublie pas et vous le rappelle tôt ou tard. Alors certes comme beaucoup de pratiquant et avec la fougue de la jeunesse on privilégie d’abord la performance physique jusqu’à s’apercevoir rapidement de ces limites.

Tout pratiquant comme un musicien ou un ébéniste devrait continuer à progresser toute sa vie, et certaines aptitudes et qualités développées devraient largement compenser la baisse du physique. Pour peu qu’on ai cherché dans la bonne direction et avec la bonne personne, qu’on se soit entraîné correctement et sur une période suffisante. Pas gagné !

Si maintenant on parle du GI, la technique, il me semble préférable d’abandonner de façon absolue toute force : ne pas tirer et ne pas pousser. Tout le travail INTERNE « du petit mouvement qui crée le grand mouvement » en passant par les 6 liaisons et beaucoup d’autres choses qu’on recouvre dans un seul mot KI est, toujours selon mon opinion toute personnelle, la 2ème clé d’un avenir de l’aïkido.

Et je ne parle pas de 2 concepts essentiels Awase et Musubi, qui devrait être le cœur de notre pratique et dont pourtant on parle moins en rapport à d’autres critères (déplacement, déséquilibre, connaissance formelle des techniques, travail de  hanche ….) qui si ils restent importants n’ont selon moi surtout de valeur objective que dans le cadre des passages de grade.

Les notions de légèreté, l’absence de force et de bras, ne pas vouloir, dissocier, le corps global et les 6 directions, le Qi, l’immobilité dans le mouvement et le mouvement dans l’immobilité etc… sont encore des réalités ou notions quasi inconnues de presque la totalité des pratiquants d’aïkido !

Personnellement bien qu’on parle un peu d’harmonie (AI) et de la voie (DO) qu’on ne parle presque jamais du ki en aïkido m’a toujours « gêné ». Quand j’ai rencontré Philippe GRANGE en 1995 ce fut une révélation! J’ai dans la foulée commencé l’étude du taï chi pendant 10 ans puis enchaîné par le Da Cheng chuan depuis maintenant plus de 10 ans. Parallèlement j’ai entrepris pendant 10 ans (également!) de longues et lourdes études de Médecine Traditionnelle Chinoise en acupuncture, tuina et pharmacopée dans 4 écoles différentes afin d’approfondir la question. Cela fait donc plus de 20 ans que j’ai basculé du coté obscur (!) et verse dans les « chinoiseries« …!!

Deux professeurs sont responsables de mon évolution vers l’interne Joël ISSARTIAL (élève direct de Me Guo Gui Zhi) en Da Cheng Chuan et pour l’Aïkido Philippe GRANGE (élève entre autre des Maîtres Yamaguchi, Su Dong-Chen et Wang Chang-An). Je suis toujours encore aujourd’hui leur enseignement et c’est avec grand plaisir que j’apprends encore à leur contact. Je les en remercie.

A ma connaissance l’interne véritable est peu enseigné en France. Le tai chi chi se résume trop souvent à une gymnastique externe loisir pour senior qui ne dépasse pas le stade de la Forme. Il faut dire notamment que le travail de posture (Zhan zhuang et compagnie..) est ardue et n’a rien de ludique.

Il n’y a qu’à voir le choc de pratiquants, y compris très gradés, quand ils découvrent l’aïki de Philippe GRANGE en stage. Même si ils en reconnaissent la valeur, ne rien comprendre leur est si déroutant que généralement s’ensuit soit une adhésion enthousiaste soit un rejet total !

Certains ont découvert des choses, parfois de manière intuitive ou empirique, mais il est très difficile de retransmettre une découverte issue au bout de longues années de sa recherche personnelle. Chercher à reproduire une technique parfaite et épurée, aboutissement de 50 années de pratique, que démontre un grand maître est illusoire. En avoir conscience est un début, après, peut être faut il malgré tout maintenir une part de rêve …?!

Enfin pour en avoir longuement discuté avec Joël et Philippe, rien ne sert d’attendre 6 à 7 ans un niveau ceinture noire pour travailler l’interne et désapprendre en partie et difficilement tout ce qu’on a appris. Pour écrire sur une page il vaut mieux qu’elle soit blanche…

                                                                                                                 Olivier BESSON